Les pluies du siècle
Depuis cette nuit, depuis bientôt vingt-quatre heures, il pleut des trombes. Des seaux, des torrents, des fleuves. Sans arrêt, sans répit, sans trêve. Un rideau gris assourdissant, une rumeur continue, un crépitement mouillé sur les dalles inondées de la cour. Tout est noyé autour. Nous sommes sur une petite butte légèrement surélevée. Ce matin Léo a pris la moto pour raccompagner sa prof de maths. Il est revenu rincé, vêtements à tordre, il m’a dit qu’il avait eu de l’eau jusqu’au moteur, par-dessus les genoux et qu’il avait cru caler dix fois dans le cloaque. Les égouts débordent, les poubelles flottent entre les murs, les ruelles transformées en canaux charrient de piètres gondoles.
Il n’y pas eu de lumière aujourd’hui. Nous avons gardé les néons de la maison allumés toute la journée pour faire comme si il y avait eu du soleil.
Je suis sortie quelques minutes pour voir l’état des ruelles. Les voisins Vietnamiens en botte et en cape de plastique transparent pataugeaient d’un air morose dans la vague qui venait mordre les marches de leur salon. Certains sont sous l’eau depuis plusieurs heures et ont dû abandonner le rez-de-chaussée.
Rien ne protège d’une telle cataracte.
J’ai vidé les placards et le frigidaire des derniers rogatons qui restaient. Pas du tout envie d’aller perdre mes claquettes dans la gadoue des ruelles. Et puis nous n’avons pas encore acheté d’imperméable, alors la gastronomie attendra… Mon complexe post-colonialiste m’interdit d’appeler le magasin pour me faire livrer des victuailles en moto. Aucune voiture ne peut arriver jusqu’ici.
Les gouttières glougloutent et chuintent. Il ne s’est rien passé aujourd’hui. Le cours de Tai Chi n’a pas eu lieu dans le jardin de la pagode. Chacun est resté chez soi à attendre une journée qui ne s’est pas levée.