La poésie des murs

Hanoi des murs lépreux, écaillés, rongés de salpêtre et de moisissures. Patines jaunes ensoleillées ou béton couleur ciel d'hiver constellé de tampons de démolition, bois rugueux, repeints maintes fois, badigeonnés de couleurs criardes qui agressent l'oeil mais ne dureront qu'une saison avant que très vite les teintes passent et se fondent, fresques délavées des pagodes où les dragons, les phoenix aux plumes mangées de champignons connaissent de brefs éclats sous les ors de la restauration, comme illuminés par un phare puissant avant de replonger dans l'humidité obscure des toits bas et des poutres de lim. Murs nus, sans affiches, sans publicité, murs anciens, bandes dessinées de l'histoire des quartiers, murs inspirateurs de photographes et de peintres qui en font leur gagne-pain. Murs bruts, inchangés qui donnent à la ville ce cachet très spécial.

Comme dans les vieilles maisons de notre enfance, on peut y lire les auréoles d'humidité et y voir des visages, des silhouettes, des présences fantasmagoriques. Les écaillures, les coups de pinceau hâtifs y forment des peintures abstraites. Couchers de soleil, ciels nébuleux, gribouillis, murs porte-manteaux auxquels pendent chapeaux, hardes et sachets, cordes, outils. Les murs parlent de quotidien, de vies dures et de climat usant. Ils exhalent une forte nostalgie, ils représentent bien l'âme burinée et poétique du vieil Hanoi.