Chi Nguyen

Chi Nguyen mesure un mètre cinquante et conduit un Vespa plus grand qu’elle. Elle s’assied délicatement, coudes rentrés, genoux sagement serrés, sa bombe Burberry posée sur ses cheveux fraîchement permanentés, le visage dissimulé derrière un masque de broderie anglaise rose. Quand elle aborde un carrefour elle a compris qu’il était inutile d’hésiter, elle s’engage hardiment dans le flot, ne regarde ni à gauche ni à droite, devant est bien suffisant et elle compte sur sa vitesse modérée pour que les autres l’évitent. Elle ne répond pas aux klaxons, d’ailleurs elle ne tourne même pas la tête.

 Chi Nguyen prend soin de sa personne, elle est toujours impeccablement soignée et maquillée, elle ne sort pas sans talons aiguilles qui avantagent sa petite taille mais lui font une démarche de petite fille qui a piqué des chaussures de grande. Une copine lui épile ses cheveux blancs pour qu’elle ne paraisse pas vieille avant l’âge.

 Chi Nguyen a la voix douce quand elle parle en anglais et se cache derrière ses doigts pour rire. Mais quand elle appelle ses copines dans la rue ou au téléphone on dirait la poissonnière du village. Le timbre devient nasal, sonore et caquetant. Elle n’a pas peur d’être entendue. D’ailleurs elle appelle de n’importe où et ne craint pas de répéter très fort pour être comprise.

 Chi Nguyen est médisante mais c’est normal. On parle de tout ce qu’on voit et on est si proches qu’on voit tout. Elle a de l’humour et tourne tout en dérision, les bonnes comme les mauvaises choses qui lui arrivent. Quand elle a des soucis, elle préfère en rire. Quand les autres en ont, elle en rit aussi. Ce n’est pas par méchanceté, c’est une philosophie. Les côtés sombres de la vie n’ont pas besoin d’être accompagnés par un visage fermé, le sourire est essentiel.