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Le feuilleton tonkinois
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19 septembre 2008

Je me fais des cheveux

village_des_tailleurs_de_pierre7Georges ay me parle d’une jeune doctoresse viet qui parle le français. Mais où ? A l’hôpital international ? Oui, oui, c’est ça, tu vois près du grand lac du sud. Je sais y aller, mais je ne sais pas t’expliquer, je ne me rappelle pas son nom, mais j’ai son numéro de portable si tu veux. Elle est adorable, elle a dit qu’on pouvait l’appeler tant qu’on voulait. Georges s’est garé le long du trottoir où je marchais. Casque-gamelle rouge et motobylette rouge, stature de géant, grand short fripé et sandales de reef en plastique, il a l’air allumé. Le genre de personnage qu’on rencontre sous les tropiques. Quelqu’un qui aurait toujours pu être là et pourtant il n’est arrivé que depuis quelques mois. Difficile à cerner. Ses yeux inquiets démentent ses pitreries.  « J’ai payé 100 000 dong (4€) et c’est tout ». Evidemment, comparé aux 450 dollars déboursés à l’hôpital français, c’est tentant.

La voix qui me répond est douce et chantante. J’arrive à saisir l’adresse de l’hôpital. Je crois me rendre au centre de soins international SOS, mais pas du tout. Le taxi me dépose devant un bâtiment plein d’entrées, il y a des panneaux en vietnamien et en anglais, mais je me sens totalement perdue. J’appelle de nouveau la doctoresse qui vient me récupérer sur le trottoir. Elle est jeune, jolie et bizarrement mêchée de roux-orangé. Pas de foule compacte, de queues interminables, pas de numéros à prendre, d’étiquettes à remplir, de formulaires à saisir. Je paie mes 100 000 dongs et je monte l’attendre dans une coursive coloniale, fermée d’un côté par d’immenses volets poudrés d’un voile noir de pollution. Un groupe électrogène sous la fenêtre remplit l’air de vibrations cacophoniques.

Je pose mes poignets paume en l’air sur deux très petits coussinets de tissu rouge. Le docteur Lê Anh Thu me prend le pouls et ouvre de grands yeux : « trop de yin » ! Elle veut savoir ce que nous avons comme eau à la maison : est-ce de l’eau de la ville ? Où est la citerne ? Est-elle propre ? Vous savez parfois au Vietnam il y a des rats dans les citernes. Si vous êtes fragile pour pouvez avoir des allergies. J’ai beaucoup de Français avec des problèmes de peau. C’est trop humide Hanoi pour les Français. Il faut refroidir votre sang, le détoxifier et le purifier : vous pouvez supporter les tisanes de la médecine traditionnelle ?

Je pense à de la verveine ou du tilleul et je lui dis que j’aime bien les tisanes. La liste qu’elle écrit me surprend un peu, mais je suis encore optimiste. Elle m’emmène à la pharmacie. Derrière un très long comptoir de bois plein, des femmes gantées et masquées remplissent des panières de trucs séchés impossibles à reconnaître. Dans leur dos, un meuble d’apothicaire de dix mètre de long sur deux de haut contient toutes les découvertes de la pharmacopée traditionnelle. L’odeur qui règne est lourde, pénétrante et légèrement écœurante. Je réalise que  sur cette liste que je n’ai pas lue (qu’est-ce-qui m’a pris d’être aussi peu curieuse ?) il va y avoir des substances étonnantes et détonantes. De la patte de cafards aux yeux de gecko, des toiles d’araignées aux pustules de crapauds, tout est possible. « Vous revenez là demain, ce sera prêt ». Et si j’attends un peu ? Non, non, il faut cinq heures pour faire la préparation. Magnifique, je crains le pire. Tout ça va macérer à l’envi.

Mais même dans mes rêves les plus fous, je n’étais pas préparée aux quinze sachets individuels de jus brunâtre que je récupère le lendemain. Une décoction de souche pourrie habitée de vermine, un coin de forêt primaire et ses habitants bouillis et passés au tamis, odeur, couleur et goût. Qui n’a jamais pris la potion du docteur Lê n’a rien pris. Quand je pense que je la trouvais mignonne.. Les repas deviennent des moments de cauchemar. Car il faut avaler ça tiède et après manger. Retenir les spasmes devient un challenge, garder un repas une petite victoire personnelle.

Je ne sais pas si mon sang est plus pur, mais mes boyaux doivent avoir une drôle de couleur.

DSCF5060

 

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