Sur la route de Dien Bien Phu

Le jour filtre sous un plafond de nuages à mi-pente. Le lac ce matin a des reflets de perle. Pas de pluie, un silence frais. La troupe enfile les bottes boueuses, les gants humides et les jeans maculés de la veille, mais l'espoir de rouler au sec s'éveille.

Incident 1
Dans la raide descente de l'hôtel à négocier avec prudence, la moto de Cécile soudain cale, elle hurle et lâche tout. Mygale. Cette fois-ci sur son guidon, elle s'avance délicatement vers ses doigts. Grand fracas de motos par terre. José court au secours de sa dulcinée. Les autres en profitent pour prendre la mauvaise route  le nez au vent et il faut les poursuivre.

La route comme une balafre tailladée dans la jungle aux pentes abruptes, une entaille béante qui saigne des coulées rouges sur le dense vert de gris des arbres géants. Précipices, écharpes de brume bleutées qui s'enroulent et s'accrochent, s'attardent et s'effilochent.

Poumons remplis de ces odeurs d'après la pluie, jubilation de cet air sauvage et rude. Des colonnes de poids lourds surchargés nous croisent en trombe, klaxons hurlants, il faut rouler sur le bas-côté.

Incident 2
La montagne incisée a vomi des tonnes de terre grasse, la route coupée par la coulée de boue est fermée par une barrière de fortune.
Une nuée de motos, de bus de ligne et de camions attend. On entend le bourdonnement des pelles derrière le virage.
Pas longtemps. C'est la seule route. Ça dégage.

Les femmes Hmong ici ont des costumes noirs et framboise. Des oiseaux de paradis dans le paysage aux couleurs militaires. Leurs lourdes jupes brodées à godets oscillent en cadence sur leurs guêtres de velours. Des portées de minuscules cochons noirs nous disputent la route. Arrêt à 1200 m, au col des nuages où quelques femmes aux coiffes coniques surmontées des fichus à carreaux roses ou verts arrivés de Chine vendent les herbes et le miel de la forêt.
Sur les visages de la troupe, le bonheur d'être là, nulle part. Juste à se remplir les poumons et les yeux. Libres l'espace d'un instant.

Incident 3
Le charcutier un peu trop euphorique chute dans un virage et s'enchevêtre dans une moto en face. Peu de mal, mais Martine est enragée et Yves ferme les écoutilles sous l'orage.
Le temps passe au chaud. La vallée de la Nam Youn s'élargit, les à-pics vaincus s'affaissent en côteaux domestiqués par les hévéas et les ananas. La route finit en boulevard triomphal avec terre-plein, drapeaux à faucilles, rangées de maisons au garde à vous et cortèges de motos.
Dien Bien Phu.